Interview avec Adhisa Ghosh, diplĂ´mĂ©e du Cycle Expert Fashion Business d'AVĚěĚĂ Paris
Publié le 15/07/2020
Observatrice active et futĂ©e des modes et des tendances dans son pays, rien n’échappe Ă la blogueuse indienne Adhisa Ghosh, diplĂ´mĂ©e d’AVĚěĚĂ Paris avec un MBA Management des Marques de Luxe. Elle analyse sur son blog toutes les Ă©volutions qui comptent et Ă©grène ses observations de remarques subtiles – parfois sans concession. Elle est devenue l'une des influenceuses de mode phares de son pays.
Adhisa, vous êtes une blogueuse freelance indienne, Bengalie et avez été confinée durant des semaines, comme tous les Indiens, et vous commentez sur votre blog, The Moody Suburban Girl (1) vos pensées quotidiennes. Votre blog pourrait s’appeler « Un roman indien moderne » car vous écrivez aussi sur la société, les relations hommes-femmes en Inde, vous décodez les tendances et parlez pêle-mêle des femmes, de la mode, des accessoires... Quelle est l'histoire derrière ce blog plein de charmes et qu’espérez-vous atteindre avec ?
Adhisa Ghosh : « Prenez votre cœur brisé, transformez-le en art », écrit Carrie Fisher ! Je pense que cette citation résume le mieux pourquoi parfois les gens se livrent avec une telle frénésie créative à ce qu’ils font. Ma principale motivation en démarrant ce blog était de traiter de la représentation inégale des femmes indiennes de Taille Plus et de couleur et de dépeindre aussi le courage qu’il leur faut pour mettre en avant malgré tout leur beauté individuelle. Quand j’ai lancé ce blog, il y a quatre ans, j’étais à un âge où je faisais beaucoup de stages avec des blogueurs, dans l’industrie indienne de la mode. Et je prenais douloureusement conscience de la façon dont les femmes étaient sélectionnées selon certaines exigences. On leur disait d’être d’un certain type, de regarder les choses d’une certaine façon. Il y avait partout un corps rampant honteux. Cependant, je crois avoir eu la chance de ne jamais devenir, pour ma part, un objet de haine car j’étais comme ceci ou comme cela. Depuis mon adolescence, j’ai toujours eu pourtant mes propres insécurités et ai eu l’habitude d’être souvent entourée de filles extrêmement influencées par des régimes à la mode, des ambitions nulles et soucieuses d’apparaître en groupe afin d’être uniquement attrayantes pour les autres. Dans mon pays, il y a aussi en suspens la question de la « peau blanche », l’obsession de l’équité et honnêtement, il y a encore quatre-cinq ans, les médias sociaux accueillaient encore avec bienveillance le concept de beauté décliné à toutes les tailles.
M.T. : Il semble que votre blog mette surtout l’accent aujourd’hui sur l’éducation et sur la nécessité d’un rôle plus grand accordé aux femmes ?
Adhisa Ghosh : En effet. Ce blog est une tentative de lier ma passion et mes connaissances, de catalyser l’expĂ©rience accumulĂ©e depuis huit ans comme Ă©tudiante et stagiaire. Je voulais crĂ©er un espace qui influence les femmes afin qu’elles gagnent en confiance et soient prises en compte, avec leurs cicatrices et leur couleur, indĂ©pendamment du point de vue de quiconque. Ce blog, c’était aussi une tentative de raconter mon histoire Ă haute voix. Pour parler de la santĂ© mentale, aborder ce problème de la dĂ©pression et comment j’ai moi-mĂŞme luttĂ© contre. J’ai créé ce blog alors que j’étais très faible. J’y ai traitĂ© de l’anxiĂ©tĂ©, de mon Ă©tat dĂ©primĂ©, tout en espĂ©rant pour moi-mĂŞme un avenir brillant avec mon MBA en Management des Marques de Luxe Ă l’étranger, au sein des campus de Paris et d’Istanbul, d’AVĚěĚĂ Paris. J’ai aussi voulu mettre ma vulnĂ©rabilitĂ© Ă contribution et aider les gens Ă rĂ©aliser qu’ils ne sont pas seuls dans leurs luttes. Que nous Ă©tions tous ensemble, qu’il y a de l'espoir ! Michelle Obama a dit dans sa tournĂ©e de promotion de sa biographie Devenir : « Le succès est un succès que s’il crĂ©e un certain impact. Dans le cas contraire, vous n’êtes qu'une statistique. Pour ne pas ĂŞtre une statistique, il faut avoir une histoire ». Je voulais avoir un impact Ă ma manière, sans aucun Ă©lĂ©ment statistique. Je voulais partager mon histoire. Je suis heureuse qu’en deux-trois ans, mon blog ait grandi comme mon bĂ©bĂ© et que j’aie pu ainsi influencer des femmes et des hommes du monde entier de la façon la plus personnelle qui soit. Je le sais car les gens m’écrivent Ă ce sujet et cela me suffit. Dans les annĂ©es Ă venir, un jour, j’aimerais crĂ©er ma propre marque, un espace plus large pour l’autonomisation des femmes, pour l’inclusion, la reprĂ©sentation, pour briser les stĂ©rĂ©otypes. Je voudrais rendre les femmes plus confiantes en elles. L’intellect d’abord !
M.T. : Vous avez Ă©tudiĂ© plus de huit ans et ĂŞtes spĂ©cialisĂ©e dans la mode, le marketing, la communication et le journalisme. Vous ĂŞtes diplĂ´mĂ©e d'AVĚěĚĂ Paris avec un Master en Management des Marques de Luxe. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre formation et quelques mots sur l’école de mode AVĚěĚĂ Paris ?
Adhisa Ghosh : J’ai un bachelor en design, spĂ©cialisĂ© dans la communication de la mode du Symbiosis Institute of Design (Pune, Inde). C’était un cours de 4 ans et j’y ai appris divers aspects du marketing de la mode, du style, des marques – merchandising visuel et prĂ©vision des tendances inclus – et de la communication. C’était très intensif. Mon diplĂ´me en poche, j’ai rejoint aussitĂ´t AVĚěĚĂ Paris pour y rĂ©aliser mon MBA, Ă Istanbul et Ă Paris. Je me souviens, j’étais fascinĂ©e par Istanbul et par la Turquie. Avoir alors l’opportunitĂ©, grâce Ă mes Ă©tudes, de vivre Ă Istanbul, c’était un rĂŞve devenu rĂ©alitĂ© ! Mes Ă©tudes au sein d’AVĚěĚĂ Paris Ă©taient ainsi partagĂ©es entre Istanbul et Paris. Quelle chance j’ai eue ! Mon temps passĂ© Ă AVĚěĚĂ Paris fut le plus beau moment de mes annĂ©es d’études ! Et si je pouvais revenir en arrière et recommencer, je le referais mille fois. J’ai vĂ©cu tant de moments clĂ©s Ă Istanbul honnĂŞtement. J’ai Ă©tĂ© alors emportĂ©e dans un monde diffĂ©rent. J’ai adorĂ© ma pĂ©riode sur place. J’ai toujours aimĂ© Ă©tudier et toute la dualitĂ© des cours en classe et en plein air Ă AVĚěĚĂ Paris Istanbul a ajoutĂ© au plaisir de toute l’expĂ©rience. Nous avons voyagĂ© dans tant d’endroits au cours des semestres lĂ -bas – beaucoup plus que nous ne l’avons fait Ă Paris parce que nous Ă©tions aussi en plus petit nombre. C’était un moment fou, de vie. On a profitĂ© des cours de gastronomie, des visites de magnifiques vignobles, goĂ»tĂ© des mets incroyables, visitĂ© des sites industriels et Ă©coutĂ© les patrons nous raconter leurs histoires. On a visitĂ© les plus beaux hĂ´tels d’Istanbul pour nos confĂ©rences sur le secteur hĂ´telier – bref, ce fut un grand moment. Bien sĂ»r, il fallait aussi aller de l’avant, Ă Paris. OĂą rĂ©gnait ce filtre romantique qu’induit la vie Ă Paris. Citant Victor Hugo : « … Et qui dit Ă©tudiant dit Parisien : Ă©tudier Ă Paris, c'est naĂ®tre Ă Paris. »
M.T. : En tant qu’auteure indépendante, pour quels autres médias ou réseaux sociaux écrivez-vous ? Quels sont vos sujets favoris ?
Adhisa Ghosh : Eh bien, je ne suis plus auteure indépendante, bien qu’ayant commencé à écrire à l’âge de 16 ans et ayant rédigé 200 articles dans The Times of India. Tous ces articles ont été publiés et mon envie d’écrire n’a fait que grandir à pas de géant. Cependant, je savais que l’écriture seule ne satisferait pas mon âme de bourreau de travail. Avec une formation continue, j’ai cultivé mes compétences, découvert mon côté créatif et bien sûr le talent pour la création de marques, la vie des affaires, la narration, la stratégie et les exécutions. J’ai collaboré et travaillé pour plusieurs publications hors ligne et en ligne, pour des marques locales et leurs canaux de médias sociaux – en 2014-2015, les campagnes publicitaires sur Instagram et Facebook venaient de démarrer. Je crois avoir vu venir la tendance des médias sociaux au tout début, lorsque les activités des influenceurs se développaient et annonçaient de sacrés changements. Avec conviction, je me suis battue avec acharnement pendant la fin de mes études en Bachelor pour me spécialiser dans ce domaine, alors que la majorité des étudiants étaient occupés à choisir des spécialisations conventionnelles. Mes sujets préférés allaient être bien sûr la mode, l’histoire, l’histoire de la mode, l’art et la littérature, la beauté et les soins de la peau. Je suis aussi passionnée de poésie, et de temps en temps j’aime lire sur la physique, diverses théories et ma propre littérature bengalie. Je suis traditionaliste de cette manière. Je crois toujours que nous pouvons nous moderniser tout en maintenant nos racines en vie pour qu’un jour, elles se transmettent.
M.T. : D'une certaine manière, vous avez toujours voulu allier style, art de vivre et nécessité de témoigner, de commenter ?
Adhisa Ghosh : Oui, sans aucun doute. Je pense que la mode est encore largement considérée comme un monde superficiel. Ironiquement, il est amusant de voir comment les gens ne réalisent pas l’influence de la culture, des révolutions, de la modernisation, des avancées et des modes de vie qui y contribuent, ou des histoires qui donnent à chaque décennie de la vigueur à la mode. La mode, c’est bien plus qu’un simple vêtement. La mode fait partie intégrante de nos vies. Alors, comment ne pas faire tourner une histoire, des histoires, autour d’elle ? Je pense que je suis une sorte de personne qui apparaît pour dépeindre des humeurs – et transmettre sans le savoir une histoire à travers mes propres choix de style de vie. La plupart d’entre nous le font inconsciemment aussi, mais la seule différence, je l’admets sciemment, c’est que j’écris à ce sujet. Regardez autour de vous, presque chaque émotion se traduit par le biais de la mode. Chaque choix a un code vestimentaire et un style de vie !
M.T. : Comment considérez-vous les tendances récentes dans les médias de la mode ? À l'échelle mondiale et en Inde ? Quels sont vos magazines et médias en ligne préférés ?
Adhisa Ghosh : Je pense que le dialogue, la sensibilisation, la consommation de masse des médias de la mode et du journalisme ont connu une croissance exponentielle au cours des dernières années. Dans le monde comme en Inde, nous sommes déjà dans la prochaine évolution de la mode : le développement durable. La prochaine décennie entraînera de nouveaux défis alors que nous nous dirigeons vers une mode durable qui va toucher la consommation de masse. Et parmi les médias que j’admire, je citerais Vogue (Espagne, Brésil, Moyen-Orient, Paris, États-Unis, Italie), Harper’s Bazaar, Hello! Royaume-Uni, InStyle, Glamour, Allure et Elle. Et aussi People et The Sartorial. Pour le contenu non-mode, Thought Catalog est mon préféré pour l’offre de contenu très Millenial !
On parle beaucoup de l’Inde. Qu’en est-il de sa scène mode actuelle ? Entre la scène traditionnelle et le marché des marques de de luxe, assistez-vous à une montée en puissance de créateurs de mode indiens prometteurs ?
Adhisa Ghosh : En raison de la crise épidémique, tout le pays s’est retrouvé longuement verrouillé, et tout le buzz axé sur la mode en sa souffert. Même les marques n’ont pas eu la chance de créer de nouvelles collections pour le Printemps-été 2020 car le calendrier de la mode indienne fonctionne un peu différemment. Bien sûr, l’Inde est toujours dans les feux de l’actualité et nous aimons penser que nous sommes mystérieux. Mais nous ne sommes pas non plus comme Hollywood ou les films occidentaux ou même Netflix nous dépeignent parfois. Non, nous ne portons pas toujours nos vêtements traditionnels à la maison. La majorité des Indiens qui vit dans le paysage urbain ont un mode de vie et un choix de vêtements très occidentalisés. La mode en Inde, tout comme notre pays, est si diversifiée. Vous ne pouvez pas vraiment la résumer en un seul mot. Chaque région de l’Inde révèle des reflets culturels différents dans ses choix et dans ses styles vestimentaires. Nous n’aimons pas être regroupés dans une seule catégorie. La dernière décennie a vu l’industrie de la mode indienne devenir plus ouverte. Un nombre croissant de créateurs indiens, très prometteurs, ont fait leur le concept de « marque de luxe locale. » Ils essaient de préserver notre patrimoine tout en le combinant avec des tendances modernes, de quoi susciter un intérêt majeur à l’international. Beaucoup de choses ont aussi changé depuis que la notion de mode de luxe s’est enracinée dans notre pays, et pour être honnête, le concept de luxe a toujours été vu très différemment dans les pays de l’Orient comme l’Inde. Le fait est, nous avons maintenant d’innombrables créateurs très influents qui rayonnent à l’étranger et ramènent cette renommée au pays. Et n’en nommer que quelques-uns serait absolument injuste !
Pour plus d’informations sur le programme suivi par Adhisa : Cycle Expert Marketing de la Mode et du Luxe.